Pertinence et problèmatisation d'une clinique

11/11/2021

PERTINENCE DE LA CLINIQUE DE LA QUESTION DU SENS POUR LES ACTEURS SOCIAUX

Dans le cadre de mon Master 2 de sciences de l'éducation, je me prépare à lancer une recherche pour poser une clinique de la question du sens pour les acteurs sociaux. L'objectif du présent document est de poser la pertinence de ce questionnement et donc de poser la question de son pourquoi.

Une question paradoxale :

A priori en effet, la question ne se pose pas pour les travailleurs sociaux : leur métier est censé être un métier vocationnel c'est-à-dire qui est choisi par l'intéressé pour des raisons en lien avec un sens sociétal que le travailleur lui attribue. Que cette vocation ait des fondements religieux ou politique, le travail social n'est jamais choisi par hasard par l'intéressé, il correspond à quelque chose dans son histoire et compte tenu des diplômes nécessaires pour l'exercer, on n'y rentre pas par hasard, on choisi de suivre tout le processus nécessaire à son exercice : bénévolat, formation, stage, expérience, professionnalisation. De plus, le travail social est reconnu comme intéressant c'est-à-dire motivant intellectuellement et affectivement ; pour l'exercer, il faut avoir une action réfléchie à la limite entre le théorique (sciences humaines, psychologie, éducatif, soin, care, etc...) et le pratique (pratiques professionnelle, diagnostic social, élaboration d'un plan d'action, suivi, etc...). Il y a un travail émotionnel important dans la praxis du travail social : la personne qui le pratique a besoin de travailler sa posture, de travailler son positionnement pour ne pas se faire happer émotionnellement par les situations traitées, de prendre du recul, de réfléchir et de s'inscrire dans une démarche énergétique pour trouver son équilibre dans la profession. Le métier de travailleur social n'est donc pas un métier où l'on s'ennuie : il y a du travail en termes de charge de travail et de charge émotionnelle et intellectuelle à mobiliser au quotidien. A cela s'ajoute que le social est relativement reconnu comme utile socialement pour les personnes qui en sont les bénéficiaires : c'est donc un emploi qui a du sens sociétalement et socialement du fait de sa définition même.

Poser la question du sens pour les acteurs sociaux peut donc paraître paradoxal et la question de l'intérêt de la question peut être posée. Quel est le but d'un tel questionnement ? Que s'agit il de recueillir comme contenu et pourquoi faire ? Pourquoi une telle démarche ? Quel en est le sens ?

Ce questionnement, nous amène à vouloir poser une problématique de la question du sens pour les acteurs sociaux afin de mieux cerner l'objet que nous souhaitons trouver dans notre recherche et de pouvoir répondre à cette question simple : que cherche-t-on ?

PROBLEMATISATION DE LA QUESTION DU SENS POUR LES TRAVAILLEURS SOCIAUX :

La question du sens pour les acteurs sociaux intervient comme le fruit de la littérature qui fleurit sur les évolutions du travail social. Il semble en effet que le travail social rencontre des difficultés à s'inscrire dans les évolutions de la société contemporaine, si bien que beaucoup de penseurs depuis très longtemps en viennent à penser le travail social comme traversant une crise qui a de multiples conséquences sur le vécu du travailleur social.

Ce questionnement est en lien avec le sens du social en lui-même et la manière dont il s'inscrit dans les représentations collectives. La question est éminemment politique pour ne pas dire idéologique. Force est en effet de constater que le social n'a pas la côte dans le débat politique de l'actualité. Non pas que les problèmes sociaux viennent à manquer pour justifier son existence concrète mais plutôt que le social n'apparait plus aux yeux de nos contemporains comme une réponse légitime aux défis de ce début de XXIème siècle. Pour une large partie de la population, il y a trop de social. Le social n'est plus perçu comme un investissement qui a du sens mais comme un coût qui plombe l'activité économique et le budget de l'état. Cette vision néolibérale orthodoxe qui se prétend la seule sérieuse et scientifique en économie fait que le social vient s'opposer à la bonne gestion économique : le social n'apparait plus comme une solution mais comme un problème. Pire, il lui est attribué des effets pervers : trop de social tue le social. Le social génère des effets « d'assistanat » qui retranche des catégories entières de la population dans des trappes à pauvreté qui sont des pièges individuels et qui coûtent très chers à la collectivité dans un contexte de crise de la dette d'un Etat Providence qui peine à satisfaire aux besoins réels de la population. Le social est ainsi pris dans un véritable cercle vicieux et une dynamique anti sociale : sous les coups de butoir de l'idéologie néolibérale orthodoxe, les droits sociaux se réduisent comme peau de chagrin ce qui génère que le social ne répond plus aux attentes de la population. Dès lors le sens du social est perdu, ce qui justifie d'autres atteintes aux droits sociaux. A cela s'ajoute la montée des discours autoritaristes liées aux poussées électorales de l'extrême droite face auxquelles les réponses du social peinent à faire valoir leur point de vue. Dans ce contexte, la voie de la sociale démocratie et de l'Etat Providence peine à faire entendre ses solutions qui n'en paraissent plus. Le social n'a plus la côte et les élites sombrent dans une forme de démagogie antisociale et s'étonnent « du pognon de dingue » qui y est investi. C'est ainsi tout le modèle social français, un des plus performant au monde, qui se voit dévalorisé tandis que la mondialisation financière et néolibérale fait que peu de nos voisins envient notre modèle qui est perçu comme un poids si ce n'est pas le facteur principal d'un déclin français. La crise du modèle de l'Etat Providence est actée dans une littérature à la mode sans qu'aucun autre modèle ne soit proposé pour apporter des réponses aux problèmes sociaux qui ne cessent de s'aggraver au point que c'est la cohésion sociale elle-même qui est menacée dans le cadre d'une crise de la représentation politique qui secoue la démocratie de toute part (abstention record, poussée populiste, poussée des complotismes, séparatisme religieux, etc...).

Face à ces constats, comment évolue le travail social ? Heureusement, l'austérité prônée par les milieux libéraux est relative car concrètement elle peine à être mise en place tandis que la crise du covid a reporté le problème de la dette aux calendes grecques sous l'impulsion des politiques monétaires des banques centrales et des « plans de relance » des gouvernements. Le travail social maintient donc globalement sa place et ses positions et ne recule pas voire avance un peu petit à petit, pas à pas. Mais la contrepartie est que le social ne se développe pas tandis que les besoins sociaux explosent en réalité sous les coups de butoir des effets dévastateurs de la mondialisation financière et surtout dans un contexte de crise économique lié au covid 19 dans le cadre d'un capitalisme stationnaire qui peine à relancer une croissance forte. La situation est donc restée au statu quo dans l'attente des prochaines échéances électorales où la voie sociale risque de se trouver en échec si ce n'est malmenée. Cette situation a des impacts lourds pour les travailleurs sociaux du point de vue du sens de leur travail. D'abord tous ceux qui ont souhaité évoluer vers une ingénierie sociale comme l'a permis le diplôme du DEIS sont confronté aux faits que les postes d'ingénieurs sociaux ne se développent pas. L'ingénierie sociale que je défini comme « la fonction recherche et développement du travail social » ne se développe pas elle-même car tout simplement le social n'est pas en train d'innover et de se réinventer mais maintient ses positions dans une posture qui ne lui redonne pas son sens plein et entier mais l'attache au contraire « aux acquis sociaux » en voie de perdition. Cet immense gâchis de l'ingénierie sociale dans son potentiel n'affecte certes pas les travailleurs sociaux de terrain dans leur quotidien puisque tout reste à l'identique mais le sens de ce qu'ils font s'en trouve affecté. Au lieu de répondre avec les outils du XXIème siècle à la demande sociale, le travail social continue à ramasser l'eau de la demande sociale à la petite cuillère tandis que les gouvernements réforment à tour de bras selon des modalités d'inspirations néolibérales (réforme de l'assurance chômage, re=réforme de retraites, etc...), aggravant la situation des personnes les plus précarisées. Au quotidien, le travailleur social voit donc son travail augmenter au quotidien tandis que ses moyens se réduisent ou stagnent, ce qui dégrade les conditions de travail et conduit à des situations de souffrances psychologiques liées au travail (épuisement professionnel, burn out, etc...). A ces problèmes s'ajoutent un changement de culture au sein des institutions sociales sous les coups de butoir de l'idéologie gestionnaire qui prétend imposer au secteur social les mêmes pratiques « rationnelles » de management que dans les entreprises privées. Le travailleur social est ainsi confronté à trois changements radicaux : la marchandisation des services, la numérisation des tâches, le « gestionnarisme » des cadres. Il se trouve confronté à un gap entre ses aspirations et sa professionnalisation, le cœur de sa pratique qui reste d'ordre socioéducative et la transformation de son contexte institutionnel qui se modernise et se déshumanise. Laissé seul avec un public dont les besoins sociaux ne sont pas satisfaits, il n'a d'autre choix que de prendre du recul pour ne pas sombrer avec les usagers avec lesquels il travaille. Outre que cela est un risque psycho-social majeur (souffrance au travail), c'est son éthique et le sens de son métier qui est remis en cause. Ce contexte est source d'une potentielle maltraitance des publics qui accroit le cercle vicieux éthique dans lequel il se trouve. Cette dissonance éthique a de très nombreuses fois été diagnostiquée et est à la source de notre questionnement sur le sens de son travail. Comment le travailleur social survit il à ce tsunami qui remet en cause le sens de son travail ?  

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