Pourquoi la question du sens pour les acteurs sociaux ?

10/11/2021

  Dans la psyché collective, au niveau des représentations que l'on s'en fait d'un point de vue extérieur, le travail social est reconnu par tous comme un « job de sens »1, un emploi porteur de sens en lui même et apportant de la valeur pour la société. A l'opposé d'un « bulshit job »2, il semble pouvoir permettre au professionnel qui le pratique de donner du sens à son action et donc de ressentir une certaine satisfaction en lien avec un accord profond entre son idéal et la réalité, entre les valeurs que l'on porte et les actes que l'on pose. A l'heure où le facteur sens prend de plus en plus de place dans le choix d'une carrière3, l'acteur social est envié pour cette possibilité d'un emploi en accord profond avec ses valeurs et motivations profondes, d'aucun diront avec sa « vocation première » voir sa « mission de vie ». Cette idéalisation semble même pouvoir justifier aux yeux de certains la faiblesse des salaires, sachant que l'on ne peut pas tout avoir : le sens, l'argent et la crémière qui va avec. Les métiers du sens doivent se pratiquer pour la vocation et non pour la gloire et la richesse.

Pourtant, lorsqu'on écoute les travailleurs sociaux d'un peu plus près, la réalité vécue s'éloigne de l'idéal projeté à priori. Un discours plaintif ou revendicatif s'installe en continue : le travail social perd son sens, il n'est plus ce qu'il était. Beaucoup parleront de manque de moyens et d'épuisement professionnel : la souffrance des professionnels est palpable et les risques psycho sociaux sont majeurs. Le travail émotionnel qu'implique la relation socio-éducative conduit à une souffrance psychique qui dit difficilement son nom car le professionnel est censé garder sa posture et prendre du recul, ne jamais se laisser déborder par l'émotion. La crise du travail social est actée au nom d'une « dysonnance cognitive »4 c'est à dire d'un conflit de valeurs entre l'idéal et la réalité, entre l'attendu et le réalisé. La littérrature est riche sur le sujet qui ne s'épuise pas et le diagnostic est souvent posé au détour d'une phrase ou en conclusion d'analyse : « perte de sens ». Des rapports entiers sont consacrés à la question5 et les pouvoirs publics sont appelés à y apporter une réponse : « redonner son sens à l'action sociale » au nom du bien être des professionnels ou pour éviter la maltraitance des publics, au nom des « bonnes pratiques ». Du côté des professionnels, un discours se construit et revient comme un mantra qui alterne entre plaintes et revendications : c'est le sens du social qui est en jeu, son existence, son essence même qui est remise en cause et il convient de se battre ou de pleurer pour ne rien laisser passer et conserver l'identité même de la profession.

Une fois ce constat posé, la question est : que se passe t'il ? Avant de tenter de résoudre un problème, il convient de le comprendre dans son ultime racine. Or la question du sens est rarement posée en tant que question de départ. Elle intervient comme une conclusion, comme l'explication finale d'un phénomène qui serait « le mal être des travailleurs sociaux » ou « le paradoxe du travail social ». Elle intervient un peu comme le point Godwin de toute bonne analyse sur le sujet : la question du sens est présentée comme le diagnostic final de la réflexion, jamais ou rarement comme une question en soi qui demande à être théorisée ou développée. Une fois le diagnostic posé, la réflexion s'arrête là comme si « la perte de sens » était l'alpha et l'oméga de toute analyse. Or ce diagnostic pose beaucoup de questions et soulève de multiples problématiques : peut on confirmer que les travailleurs sociaux vivent une « perte de sens » ? Dans quelles proportions ? Est ce ce qu'ils vivent ? Est ce leurs mots ? Est ce leurs maux ? Comment cela se traduit il ? Concrètement qu'est ce que cela veut dire ? Comment les acteurs sociaux se saisissent ils de la question du sens de leur travail ? Du sens en général ? Est ce réellement un problème pour eux ? Si oui quelle est la nature de ce problème ? Si non comment se positionnent'ils vis à vis de cette question, de la question du sens de leur travail ?

Bref, il nous semble que la question du sens pour les acteurs sociaux est une question de recherche en elle même et que cette recherche doit tout reprendre depuis le début sans a priori ni hypothèses à valider ou à infirmer. Il s'agit de recueillir la parole des travailleurs sociaux et de l'analyser pour comprendre comment la question du sens se pose pour eux. Y a t'il un problème sens ou au contraire le sens est il un moteur pour eux ? Quelle est la position de chacun vis à vis du sens ? Quel sens donnent il à leur travail ? Est ce une source de satisfaction ou de souffrance pour eux ? Leur travail a t'il du sens ? Lequel selon eux ? Pourquoi ? Comment ? Le but est d'obtenir un premier tableau descriptif de la question du sens pour les acteurs sociaux.

En d'autre terme, il s'agit de poser une Clinique de la question du sens pour les acteurs sociaux. La démarche clinique est un processus intellectuel dynamique, continu et évolutif, structuré selon des étapes ordonnées, qui permet d'analyser une situation de soins, afin d'identifier les problèmes réels et potentiels d'une personne et ses capacités.

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