Qu'est ce que la question du sens ?

10/11/2021

APPROCHE THEORIQUE DU SENS

Qu'est ce que le sens ?

Etymologiquement, le mot sens vient du latin sensus qui signifie la direction. Étymologiquement le mot sens a deux origines : du latin sensus « percevoir par les sens, ressentir » (XIe siècle) et des langues germaniques sen « direction, chemin ». Les deux mots se sont mutuellement influencés, ce qui explique la polysémie du mot. Ainsi le mot sens a t'il plusieurs sens :

- Sens comme perception : Faculté de percevoir les impressions faites par les objets extérieurs. (les 5 sens)

- Sens comme direction (aller dans le sens du vent)

- Sens comme signification : ce que quelque chose veut dire (le sens d'un mot)

- Sens comme une idée cohérente qu'on se fait de sa place dans l'univers et du déroulement de sa vie. Il s'agit dès lors d'une cognition particulière qui permet à personne d'être en cohérence avec ses valeurs (dimension d'unité intérieure : registre de paix, de force et de joie) et de s'ouvrir à une dimension transcendantale (ouverture à plus grand que soi). (sens de la vie, sens du travail).

- Pour nous, poser la question du sens d'un objet, c'est poser la question du « pourquoi », du « pour Quoi », de la finalité et de la « Cause » qui est à la source, aux fondements, de l'objet considéré.

En français le mot sens est polysémique, c'est à dire qu'il a plusieurs significations. Il existe 4 registres de définitions du mot sens :

- Le sens comme modalité de perception de la conscience (les 5 sens). Nous sommes dans le domaine de la sensation.

- Le sens comme direction, lieu physique ou idée vers laquelle il s'agit de se diriger (aller dans le sens de quelque chose).

- Le sens comme signification

- Le sens comme sensibilité

- Le sens comme idéal, « cognition particulière dans laquelle un individu parvient à l'unité intérieure et s'ouvre à une dimension transcendantale(plus grand que soi) ».

Poser la question du sens, c'est poser la question du « pourquoi », du « pour Quoi », de la finalité, de la « Cause » qui est à la source des actions et des institutions humaines. Cette question renvoie à une vision du monde, de l'homme, de la société (une cosmogonie) qui n'est pas toujours consciente et qui détermine ce que l'individu croit possible ou non, ce qu'il croit bon et juste ou non. Cet ensemble de croyances intimes constitue la subjectivité de l'individu et s'explique par un processus de subjectivation qui est propre à chacun. La question du sens renvoie ainsi à l'existence du sujet dans son intériorité la plus profonde, dans son unicité et sa liberté fondamentale, ses droits imprescriptibles à la dignité humaine. Ultimement, le sens que donne l'individu à quelque chose renvoie à la notion de choix, de désir et il détermine relation de l'individu vis à vis de cet objet. Il est un acte libre par excellence : le sens ne peut être contraint par l'extérieur, il constitue un acte libre en soi et il ne peut être aliéné sous peine de devenir autre chose. En revanche de nombreux facteurs inconscients déterminent le sens que l'individu donne aux choses ou actions : influences culturelles des croyances, injonctions des normes du groupe d'appartenance, poids des déterminismes inconscients (névrose, psychose, ...).

Poser la question du Sens, c'est s'interroger à propos du pourquoi, du "Pour Quoi" et des finalités qui sont à la source et aux fondements d'un objet considéré (la vie, le travail, l'existence, les actions humaines, les organisations, ...). Cependant, poser la question du sens sans lui accoler d'objet, c'est à dire sans poser en préambule du sens de quoi il s'agit (le sens de la vie, le sens du travail ...), peut sembler flou au premier abord mais permet au contraire de cerner une « question du sens » qui est un sujet en tant que tel, indépendamment, avec une épistémologie qui lui est propre. Dès lors, de quoi parle t'on lorsque l'on parle de la question du sens ? Tel est l'objet de cette partie : cerner de quoi l'on parle.

A° DE LA DEFINTION DU MOT SENS A LA QUESTION DU SENS :

Le sens d'un mot :

Interrogeons nous tout d'abord sur le sens du mot sens. Il est possible que pour vous ce mot ne signifie rien ou vous semble flou, peu clair et objet de multiples confusions. Et vous avez raison !!! Le mot sens est un mot à usage polysémique c'est à dire qu'il a plusieurs significations possibles et qu'il reflète plusieurs réalités. Il s'agit ici de déterminer ce que nous appelons « le sens », de clarifier la notion. Les mots ont en effet leur importance et il s'agit de clarifier le concept que nous utilisons.

Étymologie du mot sens

Tout d'abord, quelle est l'origine du mot sens ? Elle est double : d'où une première possibilité de confusion. Le mot sens date du XIème siècle et provient vient du latin sensus qui signifie « percevoir par les sens, ressentir ». Mais il provient aussi du langage germanique au XIIème siècle où le mot sen signifie « la direction, le chemin ». Les deux mots se sont mutuellement influencés et la confusion autour du terme provient très certainement du fait que ce mélange de significations date de longtemps au sein de la langue française. En vieux français déjà le mot sens s'impose pour désigner tour à tour les 5 sens, la signification et la direction. Les anglais sépareront les 5 sens (fillings) de la direction (way). Le mot sense désigne la signification (meaning). Les allemands séparent la signification (bedeutung), la perception (sinn) et la direction (richtung). La confusion est donc beaucoup plus grande en français où le mot sens est utilisé pour exprimer des objets et concepts multiples.

La définition du mot sens

Sens est donc un mot polysémique, qui a plusieurs sens possibles. Tentons de faire le tour de ce qu'il peut signifier : nous avons pu repérer au moins 5 sens au mot sens.

1) la signification : ce que quelque chose veut dire.

2) idée cohérente qu'on se fait de sa place dans l'univers et du déroulement de sa vie (psychologie, religion, anthropologie)

3) Faculté de percevoir les impressions faites par des objets extérieurs (biologie)

4) Manière de juger, de comprendre. Qui exprime le sentiment, l'opinion de quelqu'un concernant un sujet donné.

5) Raison, intelligence.

Les expressions utilisant le mot sens

Elle sont nombreuses et rajoute à la confusion car les 5 définitions sont utilisées tout à tour dans des expressions qui tendent à leur tour à faire sens en tant que telles dans l'usage commun : à mon sens, au sens de, au sens étroit, au sens figuré, au sens large, avoir du sens, le bon sens, au sens (biblique) du terme, contresens, dans tous les sens, de grand sens, double sens, en ce sens, en dépit du bon sens, faire sens, non sens, quête de sens, sens commun, sens moral, sens pratique, tomber sous le sens, un homme de sens, plaisir des sens, les 5 sens, reprendre ses sens, sens de l'orientation, sens des réalités, sens du comique, sens du ridicule ... la liste est longue et n'est pas exhaustive.

La question du sens

De quoi parle-t'on lorsque l'on évoque la question du sens ? Parle-t'on de la question du pourquoi, du pour quoi, de la cause qui sont à la source des actions et organisations humaines ? Parle-ton de la question de la direction, dans quelle direction va-t'on, dans quelle direction veut-on aller ? Parle-t'on de la question de la signification, de ce que signifie l'objet dans un ordre signifiant (sens de la vie, sens du monde, ordre culturel et spirituel qui ordonne le monde et sa place dans l'univers) ? Parle-t'on de la question de la perception, de la manière dont on conçoit les objets extérieurs ? Parle-t'on de l'éthique, lorsque par exemple on parle du sens des pratiques ou du sens des actions humaines dans un contexte moral et social particulier (travail social, psychothérapie, etc.) ? Parle-t'on d'une cognition particulière, celle du Sens avec un S majuscule, c'est à dire cette cognition au sein du cerveau humain qui génère un sentiment d'unité intérieur : de paix vis à vis du passé, de force et d'énergie dans le moment présent & de joie vis à vis d'un futur désirable. Dans cette conception, lorsqu'on ressent le sens, on se sent en fusion avec l'univers, pleinement à sa place car connecté avec ses motivations profondes et ouvert à une dimension transcendantale c'est à dire bien au-delà de son petit égo. Ce qui fait sens en soi, c'est ce qui nous permet d'atteindre cet état de conscience où nous faisons partie d'un plus grand ensemble que nous même (les autres, la société, la civilisation, l'humanité, l'univers, le divin, un ordre spirituel). On se sent alors protégé et baigné dans un sentiment d'amour inconditionnel, indestructible car faisant partie d'un mouvement global qui nous dépasse.

Force et faiblesse du mot sens

Cette polysémie est à la fois la force et la faiblesse du mot sens. Sa faiblesse provient des confusions possibles, sa force provient du fait que grâce au mot sens on peut toucher une réalité qui dépasse toutes ces petites différences de définitions. D'où la nécessité de tenter de définir ce qu'est le concept de sens tel que nous l'entendons c'est à dire tel qu'il permet de dépasser l'ensemble des petites significations possibles pour intégrer une « réalité totale globale ». Cette réalité est très souvent utilisée par de nombreux auteurs lorsqu'ils abordent « la question du sens ». C'est même la conclusions de nombreux rapports, de nombreuses études qui sur un sujet particulier en appelle à revenir au sens de l'objet pour en revenir à la source, au fondements, à la signification, à la direction prise, à l'éthique, à la dimension transcendantales des actions et des organisations. Le sens, c'est tout cela à la fois. L'avantage de poser la question du sens est donc là : en appeler tout à la fois aux questions suivantes : le pourquoi, le comment, la direction, la signification, l'éthique, la dimension transcendantale de l'objet. Le mot le plus proche est sans doute finalité car il désigne le caractère de ce qui tend à un but ; fait de tendre à un but. Renvoyer à la question du sens, c'est renvoyer à la question des finalités d'une action, d'un objet et d'une organisation. Un autre mot pourrait faire également l'affaire, celui d'essentiel, c'est à dire de ce qui est le plus important, la quintessence d'une chose, c'est à dire le facteur qui fait que l'objet considéré est qui il est par son essence et non par accident (opposé à accidentel, au relatif).

Le sens en questions

On voit donc que le sens est un « phénomène social total » au même titre que le don -contre don de Marcel Mauss ou que le sentiment de reconnaissance de Alain Caillé. Le fait social total implique que tout ce qui est observé fait partie de l'observation mais aussi et surtout que l'observateur est lui-même une partie de son observation (il fait partie du système observé). Le sens est également un phénomène complexe. Le mot « complexe » - du latin complectere: embrasser - est le contraire de simple, puisqu'il renvoie à l'idée d'éléments divers. «Je tiens impossible de connaître les parties sans connaître le tout, non plus de connaître le tout sans connaître les parties...» (Pascal; ce principe est aussi, pour Edgar Morin, l'un des paradigmes de la méthode de la complexité.).

Le sens est donc un objet scientifique qui mérite d'être davantage développé. Qu'est ce qui génère le sens ou au contraire le détruit ? Quelle est l'utilité du sens ? Pourquoi est il si souvent convoqué pour expliciter la crise d'un objet ou phénomène ? Qu'est ce que signifie convoquer la question du sens par rapport à telle ou telle problématique sociale ? Comment générer le sens pour les individus et les organisations ? Qu'est ce qui fait sens ? Comment (re)donner du sens ? Quel est le champs épistémologique du sens ?

Les réponses à ces questions sont déjà nombreuses car il existe de nombreux travaux qui ont portés sur le sens. Ces travaux sont peu connus mais ils existent. Nous tenterons de faire le tour de la revue de littérature qui existe sur le sujet la semaine prochaine afin de cerner ce qui est déjà connu à propos du sens et ce qu'il reste à découvrir.

B° HISTOIRE DES REPONSES A LA QUETE DE SENS AU COURS DU TEMPS :

De tous temps et en tous lieux, on peut repérer chez l'être humain quelques tropismes fondamentaux qui font sens pour lui : il cherche à procréer, travaille à la protection et à l'éducation de ses enfants, veut se sentir utile à la société, s'épanouit dans des relations personnelles et familiales, cherche à repousser la souffrance, la maladie et la mort & vise à accéder à une existence supérieure à sa condition d'origine d'un point de vue social ou moral. Qu'il se questionne ou non, on peut y ajouter le besoin d'avoir des réponses à la question du sens de la vie. Max Frich souligne que cette quête du sens est « une aventure » qui trouve son origine dans la conscience de la mortalité, conscience qui définirait notre nature proprement humaine. Jean Grondin souligne cependant que les réponses à ces questions ont pris des formes variées tout au long des grandes périodes de l'histoire : spiritualités animistes pendant la préhistoire, elles deviennent philosophies sous l'antiquité, religions au moyen âge, pensées scientifiques pendant la renaissance, idéologies à l'époque moderne et pensées complexes de nos jours. On peut cependant remarquer une rupture majeure avec l'avènement de la modernité. Auparavant, la question du sens se posait peu car ce sens « allait de soi » dans la culture dominante de chaque individu : l'homme était encadré de sa naissance à sa mort par des formes de « prêts à penser » et était encadré par des rites de passages pour les étapes de sa vie et le passage ultime de la vie terrestre vers un au-delà. Mais ce sens collectif a fini par se perdre depuis le siècle des Lumières et la question a pris une acuité nouvelle, une tournure individuelle : c'est désormais à chacun de définir son sens et de choisir, de faire ce qu'il peut, avec ses angoisses existentielles. D'où les enjeux majeurs en terme de sens dans notre civilisation contemporaine. Or il n'en a pas toujours été ainsi et c'est ce que nous allons tenter de démontrer.

I° Les spiritualités animistes

Les premières tentatives de réponses à la question du sens correspondent à une volonté proprement humaine d'expliquer et de supporter le monde au-delà de la mort. Claude Levi Strauss l'explicite en filigrane dans la pensée sauvage. Il y a deux besoins à satisfaire : un besoin d'expliquer l'ordre de l'univers (cosmogonie) et un besoin de répondre aux angoisses existentielles face à la mort. La spiritualité animiste offre une solution à ces deux aspirations. Pour expliquer les forces de la nature qui le dépasse, l'être humain conçoit des forces qui lui ressemblent (par phénomène de projection) sous la forme de dieux dotés d'intentions multiples qui, tout comme ce qui l'entoure (par phénomène de comparaison), sont des personnes ou des animaux avec leurs qualités propres, leurs histoires, leurs forces, leurs faiblesses et leurs contradictions. Pour expliquer le caractère tragique de l'existence (souffrance, maladie et mort), l'humanité est empêtrée dans de grands mythes qui dépassent la condition humaine et promeuvent l'idée d'un ordre divin au-delà des conceptions offertes par les 5 sens. Tout dès lors est manifestation de cet ordre symbolique, y compris les astres, le corps, les relations humaines et les grandes étapes de la vie.

II° Les philosophies

Une fois l'écriture inventée et découverte, les hommes ont la possibilité d'inventer et de découvrir des histoires beaucoup plus complexes. Le premier héros de l'histoire écrite est Gilgamesh dont l'épopée est à elle seule une quête de sens face à la mort : il s'agit de trouver l'immortalité. Puis au-delà des histoires, Platon ouvre la voie à une nouvelle manière de construire du sens. Élève de Socrate, sa renommée vient de sa théorie idéaliste : les objets et les concepts ne sont que des copies d'Idées immatérielles et parfaites, qui existent indépendamment de leur version sur terre. Selon le Platonisme, le sens de la vie serait d'obtenir la plus haute forme de connaissance, l'Idée du Bien ; l'idée d'où dériverait toutes les choses bonnes et utiles. Le mythe de la caverne fournit une explication du monde qui induit une philosophie de recherche de la sagesse au-delà des apparences. Cette quête s'exprime par la puissance de l'intellect qui permet à l'être humain de s'élever au dessus de la condition animale en donnant du sens justement à la réalité du monde. Platon ouvre ainsi la voie à divers philosophies c'est à dire à diverses interprétations intellectuelles du sens de la vie et de l'existence. Le sens devient ainsi objet de débats et de querelles pour savoir qui a la juste représentation puisque la raison est évoquée comme moyen de départager le sage de l'homme quotidien. Divers courants philosophiques tenteront ainsi de donner leur conception propre du but de l'existence. On peut repérer 5 grandes écoles de pensée : l'hédonisme, le sophisme, le cynisme, le matérialisme et le stoïcisme.

L'hédonisme (Épicure) est une doctrine philosophique selon laquelle la recherche du plaisir constitue le but de l'existence humaine.

Les Sophistes (Protagoras, Gorgias, Prodicos, Hippias d'Élis) sont des orateurs, maîtres de la rhétorique (l'art de parler avec éloquence), et spécialistes du savoir, dont le raisonnement n'avait pour unique but que l'efficacité persuasive et non la vérité.

Les Cyniques (Antisthène, Diogene) pratiquent le cynisme, une doctrine matérialiste et anticonformiste (qui s'oppose aux conventions sociales établies), fondée vers -380 av JC par Antisthène, un disciple de Socrate et de Gorgias (sophiste). Les cyniques soutiennent qu'il faut une bonne conduite dans la vie, le reste étant sans intérêt : tout ce qui n'est pas en rapport avec la vertu est alors ignoré, comme les sciences ou la logique.

Les Stoïciens (Zénon de Cition, Epictète, Seneque, Marc Aurèle) étaient les adeptes du stoïcisme, un mouvement philosophique occidental issu de l'école du Portique fondée en -301 à Athènes, par Zénon de Cition. Selon les Stoïciens, le bonheur serait atteignable par l'ataraxie (sérénité, tranquillité de l'âme, absence de troubles de l'esprit), ainsi que par l'aponie (absence de troubles physiques, corporels). Pour eux, le bonheur est la fin naturelle de l'existence de l'homme, mais il est atteignable par le moyen de la sagesse. Les Matérialistes (Leucippe, Democrite, Aristippe, Épicure, Lucrèce) professent une philosophie rejetant l'existence d'un principe spirituel, ramenant toute réalité à la matière, et affirmant que tout phénomène est le résultat d'interactions matérielles.

III° Les religions

Le retour à l'idée spirituelle se réalisera au Moyen Age après la chute de l'Empire Romain à travers l'idée religieuse. La conviction de nombreuses religions repose sur le postulat que le corps est le véhicule d'une âme. La réponse religieuse est que le sens de la vie réside dans la valeur de nos actes dans l'attente du « jugement » qui déterminera la qualité de la vie après la mort que ce soit sous la forme de la vie éternelle ou de la prochaine réincarnation.

Selon le point de vue chrétien, l'homme existe pour rencontrer Dieu. Il existe une notion protestante selon laquelle c'est par la grâce, à travers la foi en Dieu, que l'homme est réconcilié avec son créateur (grâce au sacrifice de Jésus-Christ).

Dans l'Islam, l'homme a été créé par Allâh pour l'adorer de façon exclusive. Ainsi, Allah dit dans le Coran (selon la traduction du sens rapproché) : "Et je n'ai créé les djinns et les hommes que pour qu'ils M'adorent". Ibn Kathîr a interprété ce verset en disant : "Le sens de ce verset est qu'Allâh a créé les créatures afin qu'elles L'adorent sans L'associer à quelqu'un d'autre parmi Ses créatures, comme un Prophète, un saint, le soleil, les vaches...

Pour Bouddha, la vie n'est que changement et souffrance. Elle trouve son origine dans le désir et l'attachement. Il s'agit de s'en libérer par la voie du milieu, ni trop ascétique, ni trop souple. Dès lors la libération est possible pour tout homme qui s'adonne à la méditation et à la contemplation dans l'instant présent. L'objectif de la vie est donc d'atteindre cet état de conscience transcendantal libéré de l'égo et de ses illusions de séparation du reste du monde. Contrairement à ce qui est pensé, il ne s'agit pas de se réincarner dans une meilleure vie mais de stopper la mécanique infernale des réincarnations en atteignant la sagesse suprême qui s'exprime par un sentiment de plénitude et de fusion avec le grand tout.

IV° Les philosophies modernes

Au XVIIIe siècle, le mouvement humaniste du siècle des Lumières a pour but de dépasser l'obscurantisme des religions et de promouvoir les connaissances. Ce siècle est marqué par des idées d'égalité entre les Hommes, de liberté et de rationalité. On cherche plus à comprendre le fonctionnement du monde qu'à lui trouver un sens. Cette époque cultive un goût particulièrement prononcé pour les écrits totalisants qui rassemblent l'ensemble des connaissances de leur temps. Cet idéal va trouver sa réalisation dans l'Encyclopédie de Diderot et D'Alembert, publiée entre 1750 et 1770, dont le but était de sortir le peuple de l'ignorance par une diffusion très large du savoir. De nos jours, Wikipédia suit le même idéal par le moyen d'internet.

Du point de vue du sens de la vie, de nouvelles philosophies vont émerger : l'utilitarisme, la morale kantienne, le nihilisme jusqu'à l'existentialisme qui va acter le caractère purement individuel des conceptions du sens de la vie.

Les origines de l'utilitarisme peuvent être remontées jusqu'à Épicure, mais en tant qu'école de pensée, Jeremy Bentham est généralement considéré comme son fondateur. Celui-ci décréta que « la nature a placé l'humanité sous le règne de deux puissants souverains, la douleur et le plaisir ». Le but de n'importe quelle action serait d'augmenter notre plaisir et/ou diminuer notre souffrance. Il dérive de cette constatation que « ce qui est bien est ce qui amène le plus de bonheur à la plus grande quantité de personne possible ». Pour Bentham, le sens de la vie est le « principe du plus grand bonheur ».

La morale kantienne est basée sur le travail éthique du philosophe allemand Emmanuel Kant. Il est connu pour son éthique déontologique où il y a une seule obligation morale, l'impératif catégorique, dérivé du concept du devoir. Chaque action, pour être éthique, devrait être exécutée selon l'impératif catégorique. Expliqué simplement, le test qu'une personne devrait faire pour vérifier la qualité d'une action est de l'universaliser (s'imaginer que tout le monde agit de cette manière) et de vérifier si l'action devient ou non contradictoire. Kant donne l'exemple d'une personne qui voudrait emprunter de l'argent sans avoir l'intention de la repayer. Ceci est une contradiction, car si elle était universelle, plus personne ne prêterait, car personne ne se ferait jamais rembourser. Le mensonge ne pourrait également pas être universalisé, car le concept de vérité n'aurait plus aucun sens.

Le nihilisme suggère que la vie n'a pas de sens objectif. Friedrich Nietzsche considère que le sens de la vie ne peut être interprété par l'homme qui fait partie de la vie elle-même. Dans le Crépuscule des idoles, il déclare ainsi : « La valeur de la vie ne saurait être évaluée. Pas par un vivant, car il est partie, et même objet de litige ; pas davantage par un mort, pour une tout autre raison ». Pour Nietzsche, la vie n'est digne d'être vécue seulement si nous avons des buts à atteindre. Il voyait le nihilisme (« tout ce qui arrive n'a aucun sens ») comme sans but. Il n'exclut pas pour autant la possibilité que l'homme puisse faire quelque chose de sa vie, pour lui donner un sens « Qu'est-ce que le bonheur ? Le sentiment que la force croît, qu'une résistance est surmontée ». Sigmund Freud peut être rattaché à cette école de pensée puisqu'il déclare : « quand on commence à se poser des questions sur le sens de la vie et de la mort, on est malade, car tout ceci n'existe pas de façon objective ».

Enfin, l'existentialisme achève l'idée même de sens de la vie : c'est à chaque personne de définir le sens de sa vie. La vie n'est pas déterminée par un dieu super-naturel et l'Homme est libre. L'existentialisme est un courant philosophique et littéraire qui considère que l'être humain forme l'essence de sa vie par ses propres actions, celles-ci n'étant pas prédéterminées par des doctrines théologiques, philosophiques ou morales. La conscience humaine, selon Sartre, est pouvoir de néantisation et liberté : elle s'oppose en tout point à l'en-soi, l'être plein, massif et opaque des choses. Ainsi, condamné à une liberté absolue, l'homme doit-il inventer son chemin. Albert Camus, souligne que le « sens de la vie » est « la plus pressante des questions » : « Le monde est beau, et hors de lui point de salut (...) ce chant d'amour sans espoir qui naît de la contemplation peut aussi figurer la plus efficace des règles d'action ». Le constat d'une vie sans espérance religieuse n'est pas pour autant dénué de sens ni de joie : « On sent bien qu'il s'agit ici d'entreprendre la géographie d'un certain désert. Mais ce désert singulier n'est sensible qu'à ceux capables d'y vivre sans jamais tromper leur soif. C'est alors, et alors seulement, qu'il se peuple des eaux vives du bonheur ». Camus prétend que des âmes lucides et entraînées peuvent trouver un sens à leurs jours, et jouir dans cette plénitude.

V° Les découvertes contemporaines

Partant du postulat existentialiste, le point de vue contemporain sur le sens de la vie l'observe d'un point de vue extérieur c'est à dire scientifique. Il ne s'agit plus de définir ce qu'est le sens de la vie, d'inventer une nouvelle philosophie ou religion. Il s'agit de comprendre le sens comme un objet. Le sens devient un objet scientifique observé comme un phénomène social et psychologique comme un autre. Paradoxalement le sens devient en même temps un objet perçu de manière positive, d'un point de vue utilitariste en effet le sens a son utilité dans le cadre d'une société techniciste où seul les moyens sont mis en avant. Le sens devient une solution à cette crise existentielle.

Viktor Frankel sera sans doute le premier à valoriser le sens. D'origine juive, il subira l'expérience des camps de concentration. Il en ressortira en faisant le constat que ceux qui survivent sont ceux qui réussissent à conserver un sens à leur vie au delà de la barbarie nazie. En rupture avec Freud, il mettra le sens au cœur de ses approches thérapeutiques et inventera la algothérapie. La logothérapie est une psychothérapie destinée à sensibiliser l'individu sur le sens de sa vie. Selon Viktor Frankl elle est considérée comme la troisième école viennoise de psychothérapie focalisée sur le besoin de sens, alors que selon ce point de vue la psychanalyse freudienne est centrée sur le principe de plaisir et que celle d'Alfred Adler se cristallise sur la volonté de puissance individuelle. La logothérapie postule que tout être humain est doté d'une motivation primaire qui l'oriente vers le sens de sa vie. Aussi, le thérapeute n'est pas là pour indiquer la direction au patient mais pour l'aider à reconnaître les valeurs qui l'attirent et à réaliser son entéléchie, c'est-à-dire les meilleures possibilités inscrites dans sa situation concrète. Frankl estime qu'une des principales causes de névrose est la perte de sens. Il défend la thèse selon laquelle l'inconscient est principalement d'essence spirituelle car "lorsqu'on trouve un sens aux événements de sa vie, la souffrance diminue et la santé mentale s'améliore". Au-delà de l'instinct de plaisir, la nature profonde de l'Homme le conduit vers la réalisation morale. Viktor Frankl ne considère pas que l'homme soit le jouet de ses propres pulsions. En tant qu'être humain l'homme peut choisir librement sa perspective, sa position et son attitude face aux conditions intérieures et extérieures de son existence.

Cette vision positive du sens sera confirmée par les travaux de Wong en psychologie positive. Le psychologue clinicien canadien et professeur Paul Wong a consacré de nombreuses années à l'étude du sens de la vie. Il en découlera une thérapie par le sens centrée sur la recherche de solutions et non sur la focalisation sur les problèmes. D'inspiration cognitiviste, ce type de psychothérapie vise à redonner à l'individu sa capacité à produire du sens pour soigner ses blessures.

Aujourd'hui le sens est reconnu pour ses vertus thérapeutiques par de nombreux psychologues. Dans ce même ordre d'idées, on peut citer les thérapies existentielles d'Irvin Yalom et les groupes de parole de David Spiegel auprès de femmes atteintes de cancer du sein.

VI° Vers une science du sensemaking ?

Au-delà de ses vertus thérapeutiques, le sens a fait son entrée dans le domaine du management grâce aux travaux de K. Weick. En sciences de la gestion, Karl Weick a conçu un modèle de sense-making axé sur la création collective du sens en contexte organisationnel. Ce modèle, très utilisé dans les domaines de la gestion et de la communication organisationnelle, suscite de l'intérêt en sciences de l'information, notamment pour la complémentarité qu'il offre avec celui de Dervin. Le sense-making de Dervin adopte une position épistémologique constructiviste qui met l'accent sur la manière dont les connaissances sont construites par l'individu. Le sense-making se veut aussi en continuité avec des approches cognitivistes, l'information étant avant tout comprise et interprétée du point de vue des individus (Davenport, 2010). L'approche du sense-making permet ainsi d'établir des patterns représentatifs de la manière dont les individus construisent le sens à des moments précis dans le temps et l'espace. Le sense-making de Dervin a marqué de manière significative la recherche sur les comportements informationnels, en mettant l'accent sur les utilisateurs plutôt que sur les systèmes. Il représente un outil conceptuel d'application large afin de mieux comprendre les pratiques informationnelles et communicationnelles des individus et des groupes dans différents types de situations et de milieux. La difficulté semble consister à adapter le modèle pour étudier le processus de construction de sens des organisations. Le sense-making de Weick s'inscrit dans le paradigme constructiviste que certains décrivent aussi comme interprétativiste, puisque de la diversité des interprétations données par différents acteurs organisationnels émerge une perception partagée de la réalité et de l'environnement où ils évoluent. La communication entre acteurs organisationnels est perçue comme un processus d'interactions et de significations partagées. L'organisation représente, pour Weick (1995), une réalité que les acteurs organisationnels perçoivent en fonction de leurs schèmes de pensée propres. Leurs décisions et actions sont ensuite fondées sur cette perception  - ou construction  - de leur réalité. Puisque la création de sens est rendue nécessaire par l'ambiguïté inhérente à l'environnement, elle pourrait bien être, selon Weick (2001), la problématique organisationnelle centrale. Le modèle interprétatif de Weick vise à comprendre comment les organisations, et les groupes de personnes qui y travaillent, font sens de ce qui se produit autour d'elles, et construisent leur réalité à travers un processus de communication et d'interprétation de messages (ou d'information). Cette construction de la réalité constitue le fondement sur lequel s'appuient ensuite les actions et décisions prises. Le processus de construction du sens est avant tout propre à chaque individu puisqu'il est marqué par des facteurs cognitifs et affectifs inhérents à l'être humain, qu'il s'agisse de sa manière de percevoir sa réalité ou encore d'analyser et d'interpréter des éléments d'information. ce processus est également contextuel puisqu'il prend place dans un environnement social, culturel, économique et politique qui caractérise la situation vécue par un individu, un groupe ou une organisation. La démarche individuelle pour appréhender un phénomène ne peut faire abstraction de l'influence de la collectivité. Le modèle de Dervin semble avoir plus de difficulté à rendre compte de la dimension organisationnelle du processus de création de sens, et de la dynamique qui s'établit entre les caractères individuel et collectif de ce processus et du sens créé. Un individu n'est jamais complètement isolé  : il est le produit d'une société, de valeurs et de croyances  ; il absorbe les courants dominants de son environnement tout comme les courants de sous-culture. La perception qu'il a de sa réalité ne peut par conséquent faire abstraction des interactions avec les autres et avec l'environnement. Le processus de construction du sens devrait ainsi rendre compte de la multiplicité des points de vue qui entrent en conflit ou en négociation afin de déterminer l'influence réciproque qui contribue à «  énacter  » une nouvelle réalité.

En guise de conclusion

Des premières tentatives de réponses primaires à la question du sens de la vie aux travaux de Weick, on se rend compte du chemin parcouru par la pensée humaine. A-t'on pour autant fait le tour de la question ? La scientifisation des propos correspond à une extériorisation du point de vue comme si le sens était un objet extérieur à l'intérieur de l'être humain. Paradoxalement, avec cette extériorisation, le sens de la vie n'est plus considéré comme un donné extérieur qui s'imposerait et qui serait à découvrir, qui aurait une existence en soi à laquelle l'homme devrait se soumettre car il est « la » vérité. La volonté d'appliquer la pensée scientifique à la question du sens correspond au moment où les chercheurs ne veulent plus répondre à la question du sens de la vie (puisqu'il n'y en a pas) mais tentent d'aborder le sens comme un phénomène social total qui ne peut être séparé de l'observateur qui le considère. Ainsi, plutôt que de chercher une objectivation de la question du sens, sans doute les travaux futurs devraient ils tenter de rendre compte de son caractère éminemment subjectif. En plaçant le sens dans sa dimension de subjectivité, on peut sans doute comprendre davantage comment il fonctionne, ce qui le génère ou au contraire l'anéanti dans la conscience humaine. Pour l'aborder une approche clinique peut donc sembler pertinente car elle intègre la dimension subjective de la recherche à travers les notions de transfert et contre transfert.

C° LES ENJEUX DE LA QUESTION DU SENS AUJOURD'HUI

La question du sens se pose de manière aigüe dans nos sociétés contemporaines complexes. A force de ne s'intéresser qu'au « comment », aux « moyens », aux « techniques » nos sociétés perdent de vue la fin, la finalité, l'essentiel, le coeur des choses. Le sens est ultimement la boussole qui nous conduit là où nous voulons aller. Sans lui, nous sombrons dans le n'importe quoi, dans l'action pour l'action, « la perte de sens », voir pire dans le «non sens», l'endroit où les actions posées ont l'effet inverse de l'effet recherché, le lieu où au nom du bonheur, du plus, de la valeur ajoutée nous créons l'enchaînement de notre malheur, de la moins value et de notre perte. La question du sens est donc LA question fondamentale du XXIème siècle, celle qui nous concerne tous et toutes en tant qu'êtres humains, surtout en ces temps de crises. Aussi pouvons nous affirmer, dans les pas de Malraux, que le XXIème siècle aura du sens où il finira mal.

Le Sens comme combat

Face aux enjeux de notre temps, face aux mutations de la mondialisation et du capitalisme, face aux nécessités de la transition écologique et solidaire, le Sens doit ainsi nécessairement devenir le nouveau paradigme de ce XXIème siècle.

Il s'agit de promouvoir le Sens comme valeur centrale à la source des actions humaines. A l'heure de l'argent roi et de l'aliénation économique volontaire, il s'agit de promouvoir des valeurs humanistes, de remettre l'homme et son développement au cœur des choix de la société car ultimement c'est la quête du dépassement de la souffrance, de la maladie et de la mort qui est le moteur, le tropisme fondamental de l'être humain. Cette quête d'une transcendance se réalise dans une recherche de Sens davantage que dans une recherche de bonheur immédiat ou de bien être mou qui conduit à l'hédonisme et à l'individualisme. Or le Sens c'est l'action qui se termine en l'autre, l'action valable qui conduit à la réalisation sous une forme ou sous une autre du Grand Partage Planétaire auquel l'humanité toute entière est appelé pour exprimer son unité. Tel est le sens de l'histoire et la nécessaire "révolution du sens" qui doit advenir.

Les enjeux d'une « Economie du sens »

Face aux enjeux de notre temps, face aux mutations de la mondialisation et du capitalisme, face aux nécessités de la transition écologique et solidaire, le Sens doit ainsi nécessairement devenir le nouveau paradigme de ce XXIème siècle. Face aux normes administratives et budgétaires qui s'imposent peu à peu dans la société en voie de néo libéralisation, la question du sens est la grande oubliée. Si cette logique du tout marché fonctionne dans de nombreux secteurs d'activités, il est des domaines où elle n'a pas sa place car elle rentre de plein fouet en contradiction avec le sens premier des actions envisagées. Les domaines de cette incompatibilité forme le secteur d'une «Economie du sens», une économie dont la fonction n'est pas seulement de produire de la richesse financière mais de produire du lien pour la société dans une perspective d'intérêt général et social. Cette conception d'une économie du sens remet en cause le dogme néolibéral selon lequel une société parfaite serait une société où la loi du marché est la seule règle. Nous avons pu repérer 13 secteurs d'activités où le sens doit être le moteur des pratiques :

  1. l'éducation nationale

  2. le coaching et métier de l'accompagnement professionnel

  3. la psychologie

  4. le travail social et éducatif & l'animation socio culturelle

  5. l'Economie Sociale et Solidaire

  6. la solidarité Internationale

  7. la médecine et les métiers de soignants

  8. les métiers du soin et de l'aide à la personne

  9. la médecine alternative et métiers du bien être sportif

  10. l'enseignement et formation professionnelle pour adulte

  11. les métiers de la culture et de l'histoire de l'art

  12. les métiers du développement durable et de l'écologie

  13. les services publics

Le Sens impose sa logique propre et représente la véritable alternative à l'ordolibéralisme c'est à dire aux normes budgétaires et bancaires comme seul critère de sélection de la viabilité des projets humains. Le sens doit devenir la valeur centrale qui est à la source des décisions politiques. Le Sens a avant tout une dimension politique et sociale.

La dimension philosophique du sens

Cette place centrale du sens se vérifie tout au long de l'histoire. Il a pris des formes variées et a toujours constitué le fil rouge qui permet de comprendre au final ce qui a mobilisé les êtres humains. Ainsi le propre de l'humain est -il de s'interroger sur le sens de son existence et de la vie. Ce fait provient de la relation très particulière qu'il entretien avec la mort : l'homme est le seul animal conscient qu'il va mourir. Comme nous ne savons pas ce dont sont conscients les animaux, on peut affirmer en tout cas que l'homme est le seul animal qui souffre du fait qu'il va mourir. Or comme l'être humain est un animal qui a besoin de sens, le voilà confronté au pire : la mort. Elle incarne le non sens absolu. Face à la mort inéluctable, le sens de la vie elle même prend une coloration différente. Soit il y a quelque chose après et la vie a un sens qui peut se cacher dans cet au delà. Soit il n'y a rien et la vie perd une grande partie de son sens (si ce n'est pas tout le sens qu'elle peut avoir). Cette angoisse face à la mort est à la source de toutes les spiritualités, qui agissent (selon le point de vue) au pire comme des compensations illusoires ou au mieux comme une solution, un baume au cœur pour tenir le coup.

Les réponses spirituelles de l'humanité ont pris des formes les plus variées mais toutes portaient en germe la question du sens de la vie et de l'existence. Elles ont pris tour à tour des formes animistes (préhistoire), philosophiques (antiquité), religieuses (moyen âge), et idéologiques (époque moderne). Le point commun entre toutes ces spiritualités est qu'elles offraient une forme de « prêt à penser » en lien avec le sens de la vie qui satisfaisait les besoins de sens des individus et des groupes. Seule l'époque contemporaine laisse l'individu seul face à l'angoisse existentielle : c'est à chacun de construire le sens qui lui est propre. Cette configuration unique dans l'histoire fait de nous tous de potentiels « créatifs culturels » c'est à dire des créateurs de sa propre culture. Cette configuration unique est porteuse d'espoir dans le sens où elle permet l'émergence d'une nouvelle sensibilité sociale et spirituelle en réponse aux dérives de la modernité et de son non sens. Il est temps cependant que la question du sens soit ressaisie selon les formes des mentalités de la société contemporaine pour répondre aux besoins de sens de la civilisation du XXIème siècle à travers ses individus et organisations.

Les enjeux d'une Ecologie du sens

L'objectif serait de construire une "science du sens" c'est à dire "une méthodologie de la création individuelle et collective du sens" (ou Ecologie du sens). Il est avéré maintenant, depuis les travaux de Frankel et de Wong, que le sens est un facteur psychologique positif pour les êtres humains : il permet de générer une dynamique de pensée positive qui est source de bien être et de disparition des angoisses existentielles. Le premier enjeu se traduit ainsi en terme de développement personnel. Mieux, il est avéré également depuis les travaux de WEICK sur le sensemaking que le sens est un facteur positif de mobilisation et de motivation des individus au sein des organisations. Le second enjeu est ainsi managérial : il s'agit de poser les bases d'un savoir faire pour un management par le sens. Cet enjeu est vital du point de vue de la qualité de la vie au travail et de la résolution des « nouvelles » psycho-pathologies du travail (burn out, bore out, brown out).

Les facteurs de développement du sens ou du non sens

L'Ecologie du sens vise ainsi à définir une science des facteurs qui permettent l'émergence, le développement ou la mort du sens pour les individus et les groupes. Le terme écologie permet de mettre en avant la nécessaire bio diversité des sens que chacun donne à son existence et à son travail ; il s'agit de protéger cette bio diversité dans l'optique d'un environnement favorable au sens. De ce point de vue des facteurs générateurs ou non du sens, deux dimensions semblent fondamentales : la dimension du projet et la dimension sociale.

Sens & projet

Le projet est le vecteur par lequel un individu se projette dans l'avenir pour le construire. Il porte en lui même une forte dimension d'empowerment c'est à dire une prise de pouvoir de l'individu sur ses propres déterminismes et les déterminismes sociétaux. Il permet de canaliser les énergies dans une direction unique qui évite la dispersion et la déconcentration. La dimension projet est donc un facteur fondamental dans le développement du sens.

Sens & social

De même, le facteur social est extrêmement important comme dimension qui permet de générer le sens. Par social nous entendons à la fois ce qui constitue le lien entre les humains et l'ensemble des mesures et politiques qui permettent de consolider ce lien. Le sens est en effet éminemment en rapport avec le fait de poser des actions qui se terminent en l'autre, qui ont pour but le bien être de l'autre. Le sens a beaucoup à voir avec le sentiment d'amour inconditionnel. De nombreuses religions par le passé avaient mis en avant l'amour inconditionnel d'un Dieu pourvoyeur à l'infini. Depuis la mort de Dieu, il ne nous reste que l'amour entre nous, petits humains et c'est un facteur pourvoyeur de sens à l'infini. Aussi pour beaucoup le sens de leur vie se trouve dans les relations humaines qu'ils entretiennent avec leurs proches (famille, enfants, amis, etc.). La logique qui est à développer ici est celle de la dynamique don-contre don, dynamique pourvoyeuse de sens dans une optique convivialiste.

Sens & travail

Hélas, dans notre société cela passe par la case travail. Du latin trépalum, étymologiquement le travail renvoi à un instrument de torture utilisé au moyen âge pour punir les esclaves. Dans notre société contemporaine, nous n'en sommes plus à l'esclavage mais il reste encore beaucoup de chemin pour libérer totalement l'être humain de l'aliénation économique. Non pas que le travail en soi soit négatif mais c'est surtout une manière de le pratiquer dans nos sociétés mondialisées qui est à remettre en cause : trop de stress, trop peu de sens, trop de compromission et trop peu de satisfaction réelle. Travailler 35h00 en soi, ce n'est pas la mer à boire mais c'est surtout ce qu'on nous demande de faire pendant cette majeure partie de notre vie éveillée qui pose problème du point de vue du développement humain. André Gortz a très bien senti la question en parlant d'un "travail hétéronormé", c'est à dire imposé de l'extérieur selon des normes budgétaires, bancaires et comptables, qu'il oppose à la possibilité d'un "travail autonome", c'est à dire qui vient de l'intérieur de soi pour construire à l'extérieur ce qu'on a à l'intérieur (un art, un concept, une idée, une technique, ...). La différence est majeure pour ceux qui cherchent un accomplissement dans la vie mais il est vrai qu'elle n'a que peu d'importance pour ceux qui peuvent y combler leur vide intérieur et existentiel. Car c'est bien ainsi que l'on pourrait résumer le travail dans sa forme actuelle : le vide !!! Le travail nous laisse lessivé, sans énergie, sans plus rien d'autre à pleurer que notre modeste salaire qui nous permet tout juste de survivre dans une société du vide où exister se résume à consommer des produits dont nous n'avons besoin que parce que l'on nous a manipulé par la pub pour en avoir le besoin ou l'envie. Telle est la condition de l'homo-économicus de nos sociétés qui se disent libérales. Tel est ce dont il s'agit de se libérer. La question est donc de savoir si le travail a un sens en lui même et comment, dans ce monde où il nous est demandé de travailler, trouver un sens à son travail ?

En guise de conclusion :

Nous nous proposions ici de faire le tour de la question du sens, d'en montrer les multiples enjeux et dimensions. Le sens pose de multiples questions existentielles et c'est bien là sa fonction. Il est un catalyseur qui vise à nous faire passer d'un état à un autre. L'état A c'est la crise que nous traversons qui est éminemment une crise de culture (Hannah Arendt) et de civilisation (Edgar Morin) ; l'état B c'est le nécessaire saut qualitatif que l'humanité doit traverser pour une civilisation enfin véritablement humaine et non violente. Le sens est le produit, le catalyseur qui doit nous faire passer d'un état à l'autre. Il en est en tout cas un des éléments essentiels de l'équation que nous avons à construire pour un futur désirable.

D° CE QUI FAIT SENS

Voir les travaux de Lefebvre.  

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